"Quand je suis entré chez Sako, il tentait de régler un problème relatif à des billets d'avion.
Alors que j'attendais dans son salon, il a passé plus d'une heure au téléphone, à parler alternativement à la compagnie aérienne MEA, à différentes agences de voyage et à Bédo.
Sako, son épouse ainsi que cinq autres couples allaient partir à Erevan (Arménie) à la fin de semaine, pour fêter les 60 ans d’un de nos amis. Le problème était que Bédo avait utilisé ses miles pour réserver ses billets d’avion, ce qui ne lui permettait pas de voyager en classe affaires. Sako voulait que Bédo et son épouse soient surclassés, afin de voyager en classe affaires avec les autres.
En fin de compte, la question fut réglée.
Plus tard dans la soirée, Sako et moi-même avons rendu visite à Bédo. Comme j’étais invité également, tous deux ont insisté pour que je me joigne à eux. Ils ont dit que je serais leur invité d’honneur, et qu’ils s’occuperaient de toutes les dépenses liées au voyage… Je leur ai expliqué que je ne pouvais pas. Que j’avais du travail. En fait, j’avais aussi un « problème de chaussures ». Les chaussures des invités à ce genre de fêtes coûtent au minimum 1 000 dollars. Moi, je n'ai jamais acheté une paire de chaussures à plus de 100 Euros. Comment aurais-je pu m’assoir avec ces gens ?
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En 2013, j’ai eu le privilège d’assister à la consécration de la cathédrale arménienne de « la Sainte Transfiguration » à Moscou. Là, je me suis retrouvé avec trois hommes d'affaires arméniens de Moscou, tous trois prospères et en tête de liste du classement Forbes. Lorsqu’ils se saluèrent, j’ai remarqué que l’un d’eux observa d’abord les chaussures des autres, avant de lever son regard vers leurs visages. Surpris, je suivis son regard et fus impressionné par les belles chaussures d’un des hommes, une magnifique paire de couleur Havane, en peau de dos d’alligator de Louisiane. Moi, quand je rencontre des gens, je regarde d’abord leurs visages. Eux, ils inspectaient les tenues de leur « concurrents ».
Je suis content de ne pas être allé à cet anniversaire. Vous savez, même si j’avais les chaussures appropriées, je n’aurais pas souhaité y aller. Ecouter pendant des heures les discours de table, se gaver, puis, imbibé d’alcool, passer une mauvaise nuit d’indigestion. Quelle torture !
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Nous avons récemment fait un tour de l'Arménie et de l'Artsakh (Haut Karabagh ndlr) avec ma famille. Quelque part près d’Alaverdi, nous avons croisé la route d’une vieille dame qui attendait sur le bas-côté. J’ai demandé au chauffeur de s’arrêter. Il n’était pas très enclin à le faire. J’ai gentiment insisté. Nous nous sommes arrêtés et avons pris la dame en voiture. Avec mon fils, nous avons chargé son sac de 50 kg de farine dans le coffre du véhicule, puis nous l’avons déchargé à son domicile, au village où elle vivait avec sa sœur et sa mère. Là, je me rendis compte que la dame que j’avais appelé "Mayrig" (petite mère) pendant le trajet, aurait pu être plus jeune que moi. En effet, sa mère semblait être de l'âge de ma mère. La dureté de la vie les avait usées.
Toutes trois vivaient seules. Les deux sœurs avaient perdu leurs maris de manières différentes, l'un au Karabagh, et l’autre à Moscou. L’un pour la patrie, l’autre pour la luxure. Elles vivaient toutes trois des œufs des deux poules qu'elles avaient, des légumes de leur potager et de la farine du sac, qui, comme l’une d’elles m’a expliqué, était le seul aliment qui "rentrait" dans leur maison, de l'extérieur…
Sako et Bédo font partie du cercle de mes meilleurs amis. Ils ont tous les deux le cœur sur la main. Pourtant, je ne pouvais pas me joindre à eux à cette fête. L'argent dépensé ce soir-là était à coup sûr plus que ce que les trois dames d’Alaverdi ne dépenseront au cours de leur vie.
Je me demande si l’hôte qui fêtait ses soixante ans, un membre du parlement, est déjà allé à Alaverdi, ou est déjà entré dans une telle demeure.
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Je suis en train de regarder des photos d'anniversaire et je pense à tous ces pauvres gens aux « belles chaussures » qui étaient à la fête.
Je pense au pauvre hôte d'anniversaire. Deux semaines auparavant, il avait célébré les 80 ans de sa mère, au même endroit, avec les mêmes invités.
Je pense à notre pauvre président. A son emploi de temps chargé : des discours à écrire, des décisions à prendre, à décider les mouvements à faire sur l’échiquier politique, les pions à avancer, d’autres à sacrifier… En plus de ses lourdes responsabilités, il parait qu'il est là, présent aux festivités de chaque anniversaire, à chaque baptême et à chaque mariage à Erevan. Quel bon président ! Il ne refuse jamais à personne de son peuple. Et après la torture de ces si opulentes fêtes, ces imposants repas, il doit retourner chez lui et penser à ces gens qui vivent dans d’autres mondes, des mondes si éloignés, si différents. Des gens comme les dames d’Alaverdi !
Tano
Beyrouth 2016
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Alaverdi (en arménien Ալավերդի) est une ville du nord-est de l'Arménie, dans la région de Lorri. Elle compterait environ 16 600 habitants[3]. C'est une ville minière construite dans le canyon du Debed (tout récemment le gouvernement arménien a lancé un appel d'offres pour un pont). Elle a également appartenu au cours de son histoire à la Géorgie[4]. (son nom viendrait-il du turc "Allah verdi" (Dieu l'a donné) ?)
Les trains reliant l'Arménie à la Géorgie passent par Alaverdi.
La ville se trouve près du village de Sanahin et du monastère du même nom .
À la fin du XVIIIe siècle, le secteur d'Alaverdi est annexé par l'Empire russe, la richissime famille d'Argoutinski-Dolgoruki fait venir des mineurs de Grèce pour exploiter les richesses minières de cuivre de la région d'Alaverdi. À la fin du XIXe siècle, la mine est vendue aux Français. Pendant l'URSS, la ville s'est très industrialisée.
sources : wikipedia , société arménienne du BTP "Gamourtchi".
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Il y a des Alaverdi dans toutes les régions de la planète , et des gens qui dépensent des fortunes , aussi .
la rédaction